Le travail d’une équipe internationale d’astronomes a abouti à la découverte de 62 nouvelles lunes de Saturne. Grâce à cette découverte, Saturne reprend sa place en tête de la “course aux lunes” autour des planètes géantes de notre système solaire. L’équipe est dirigée par Edward Ashton qui est actuellement en postdoctorat à l’Institut d’astronomie et d’astrophysique de Taïwan, le professeur Brett Gladman de l’Université de Colombie-Britannique, Mike Alexanderson du centre pour l’astrophysique à Harvard, Jean-Marc Petit de l’Institut UTINAM/OSU THETA et Matthew Baudoin de l’Université de Colombie-Britannique.
Durant les 20 dernières années, on a cherché des lunes autour de Saturne de façon répétée et avec de plus en plus de finesse. Dans sa dernière étude, l’équipe du docteur Ashton a utilisé une technique connue sous le nom de “déplacement et empilement” dans le but de trouver des lunes autour de Saturne de moins en moins lumineuses et donc de plus en plus petites. Cette méthode a été utilisée pour la recherche de lunes autour de Neptune et Uranus, mais jamais autour de Saturne. Le déplacement d’une série d’images séquentielles à la même vitesse que la Lune bouge dans le ciel a eu pour résultat l’amélioration du signal d’une lune quand toutes les données sont combinées, ce qui a permis aux lunes trop faibles pour être vues dans les images individuelles de devenir visibles dans les images empilées. L’équipe a utilisé des données collectées grâce au télescope Canada-France-Hawaii (CFHT) au sommet de Mauna Kea entre 2019 et 2021. En déplaçant et empilant beaucoup d’images séquentielles prises sur des durées de 3 heures, l’équipe a été capable de détecter des lunes d’à peine 2,5 kilomètres de diamètre.
La première découverte, faite en 2019 quand Ashton et Beaudoin étaient étudiants à l’université de la Colombie-Britannique, a décelé les lunes lors d’une recherche méticuleuse des images profondes du CFHT acquises cette année-là. Cependant, trouver un objet près de Saturne vue sur le ciel ne permet pas d’être certain qu’il s’agit d’une lune ; il pourrait aussi d’agir d’un astéroïde qui passe juste près de la planète (bien que ce soit improbable). Pour en être absolument certain, l’objet doit être suivi pendant plusieurs années avant qu’on puisse vraiment établir qu’il est bien en orbite autour de la planète. Après avoir minutieusement fait correspondre des objets détectés des nuits différentes durant 2 ans, l’équipe a réussi à suivre 63 objets, ce qui a confirmé qu’il s’agit bien de nouvelles lunes. Une des lunes, appelée S/2019 S1, a été annoncée en 2021 et le reste a été annoncé ces deux dernières semaines. Certaines des orbites assemblées par l’équipe ont été associées à des observations passées qui ont brièvement aperçu quelques-unes de ces lunes, mais qui n’ont pas été suivies assez longtemps pour établir qu’elles étaient en orbite autour de Saturne.
“Le suivi de ces lunes me rappelle le jeu “points à relier” auquel je jouais enfant, parce que nous devons connecter les différentes apparitions de ces lunes dans nos données, avec une orbite viable” dit Edward Ashton, “mais avec à peu près 100 jeux différents sur la même page et on ne sait pas quel point appartient à quel puzzle.”
Toutes ces nouvelles lunes appartiennent à la classe des lunes irrégulières, dont on pense qu’elles ont été capturées il y a longtemps par leur planète hôte. Les lunes irrégulières sont caractérisées par leurs orbites larges, elliptiques et inclinées par rapport aux lunes régulières. Le nombre de lunes irrégulières de Saturne qui sont connues à plus que doublé, atteignant le chiffre de 121, dont 58 précédemment connues avant que cette recherche ait commencé. En incluant les 24 lunes régulières, il y en a 145 lunes reconnues (par l’union astronomique internationale) qui sont en orbite autour de Saturne. Les nouvelles découvertes apportent plusieurs faits marquants pour la planète aux anneaux. Non seulement Saturne a regagné sa couronne du plus grand nombre de lunes connues (devant Jupiter qui a 95 lunes reconnues), mais elle est aussi la première planète à avoir plus de 100 lunes découvertes au total.
Les lunes irrégulières tendent à se rassembler en groupes selon l’inclinaison de leurs orbites. Dans le système de Saturne, il y a trois groupes nommés d’après différentes mythologies : il y a le groupe des Inuits, le groupe Celtique et le groupe Nordique, le plus peuplé. Trois des nouvelles découvertes appartiennent au groupe Inuit : S/2019 S 1, S/2020 S 1 et S/2005 S 4 ont de très petites orbites avec une inclinaison semblable à celles des plus grosses lunes déjà connues, Kiviuq et Ijiraq. Toutes les nouvelles lunes tombent dans un des trois groupes et une fois de plus le groupe Nordique est le plus peuplé parmi les nouvelles lunes. On pense que les groupes résultent de collisions, les lunes actuelles d’un groupe étant les restes d’une ou plusieurs collisions sur les lunes initialement capturées. Une meilleure compréhension de la distribution des orbites nous donne donc des indices sur l’histoire collisionnelle du système de lunes irrégulières de Saturne. À partir de son étude passée de ces lunes, l’équipe a suggéré que le grand nombre de petites lunes sur des orbites rétrogrades découle de la destruction relativement récente (en termes astronomiques, c’est-à-dire dans les 100 derniers millions d’années) d’une lune irrégulière de taille intermédiaire, maintenant cassée en de nombreux fragments qui sont catalogués dans le groupe Nordique. “En repoussant les limites des télescopes modernes, nous trouvons un nombre croissant d’indices qu’une lune de taille modérée, orbitant à contre-sens autour de Saturne a été pulvérisée il y a environ 100 millions d’années” commente le professeur Gladman.
Selon Jean-Marc Petit, “l’étude des lunes irrégulières nous renseigne sur les phases finales de la formation du système solaire. Mais les avantages obtenus à observer les planètes plus proches (lunes plus brillantes) sont compensés par une plus grande région à observer, et des prises de vues plus courtes avant que la lune ne bouge sur l’image, donc il n’y a pas de planète plus facile à étudier qu’une autre.”
Contacts presse :
Jean-Marc Petit, France, petit@obs-besancon.fr
Edward Ashton, Taipei, Taiwan, eashton@asiaa.sinica.edu.tw
Brett Gladman, UBC Vancouver, Canada, gladman@astro.ubc.ca
Mike Alexandersen, Boston USA, mike.alexandersen@cfa.harvard.edu